Spécialiste du scouting depuis plusieurs années, le français Jordan Sensi a répondu à nos questions concernant le fonctionnement du recrutement des talents nationaux et internationaux à travers le Monde. Mais aussi les différentes facettes du métier de scout.
En quoi consiste la fonction de scout/recruteur ?
Jordan Sensi : Un scout supervise une multitude de joueurs dans le but de repérer celui (ceux) avec le plus gros potentiel et de le(s) recruter. Cependant, il existe différentes positions en tant que scout. Les franchises NBA en utilisent 4 sortes : les scouts s’occupant des joueurs universitaires, les scouts s’occupant des joueurs internationaux, les scouts s’occupant de la D-League et des joueurs NBA (pour la free agency et les trades), et ce que l’on appelle les « advance scouts ». Chaque équipe en a un. Il est en charge d’observer les équipes contre qui sa franchise va jouer très prochainement.
Les gros clubs européens ont également des scouts à part entière. Ou alors ce sont les assistants coachs et les GMs qui s’en chargent. Dans le championnat de France, le retard est considérable à ce sujet pour la majorité des clubs. Enfin, d’autres organismes se servent de scouts. Les agents importants demandent conseils pour savoir quels joueurs signer. La D-League à ses propres scouts. Et des sites internets spécialisés comme draftexpress ou eurohopes ont leurs scouts.
« Il ne faut pas non plus juste aimer le basket, il faut être un geek du basket ».
Comment le devient-on ?
Jordan Sensi : Il n’y a pas de chemin tout tracé pour devenir un scout. Il ne faut pas non plus juste aimer le basket, il faut être un geek du basket. La quantité de match à voir est considérable. De plus, la quantité de joueurs à connaître est presque infinie. Pour en revenir à la question, une expérience dans le basket est bien sûre souhaitable. Que ce soit en tant que joueur de haut niveau, entraîneur ou dirigeant, cela donne déjà des angles d’attaques lorsque l’on veut faire du repérage.
On a également la chance en 2016 d’avoir de très bons outils sur internet pour pouvoir se perfectionner. Les vidéos de Draftexpress par exemple sont d’un très très haut niveau. Elles sont toujours intéressantes à regarder. Sinon on trouve des podcasts, des articles et des sites spécialisés. Ensuite, tout est une affaire de réseau et d’opportunités à saisir.
« Le travail d’un scout aujourd’hui, c’est 50% d’observation et 50% de réseau. »
Quelles sont les qualités et compétences nécessaires pour exercer ce travail ?
Jordan Sensi : Tout d’abord, il faut aimer voyager autant que l’on aime le basket. Aussi, cela peut paraître basique mais il faut être complètement bilingue en anglais. Parler une troisième langue comme l’espagnol est toujours utile. Sinon, il faut lire et écouter tout ce qu’il se dit sur la ligue pour laquelle on veut faire du scouting. Et regarder beaucoup de matchs. Le jeu en NBA et en Europe est très différent. Sans regarder beaucoup de NBA (surtout maintenant avec la tendance des analytics et du small ball) on ne peut pas dire si un prospect européen peut jouer là-bas ou non.
Ensuite, il faut avoir un réseau très très très important. Je pense que le travail d’un scout aujourd’hui, c’est 50% d’observation et 50% de réseau. Il faut bien sûr voir ce qu’un joueur peut et ne peut pas faire sur un terrain. Mais il faut aussi savoir tout ce qui se passe en dehors du terrain. Quelle est la personnalité du joueur ? Comment est sa famille ? Comment se comporte-t-il à l’entrainement ? Avec ses coéquipiers ? ses entraîneurs ? etc. Pour cela, il faut avoir des contacts dans toutes les équipes, partout en Europe et dans le monde.
Enfin, je dirais qu’il faut sans cesse se remettre en question. Tous les scouts se sont déjà trompés au moins plusieurs fois dans leur vie. Il faut alors chercher à comprendre pourquoi on s’est trompé et ne pas refaire les mêmes erreurs. Il faut aussi être très ouvert d’esprit et parler avec beaucoup de personnes pour avoir la vision la plus globale sur un joueur et ne pas être entêté et se penser déjà arrivé.
Quelles sont les différences entre être scout NBA et scout pour des équipes européennes ?
Jordan Sensi : Il n’y a à vrai dire pas de grosses différences. Le métier de scout est le même partout dans le monde. Il y a juste plus de scouts et plus de positions différentes en NBA. En Europe, il y en a beaucoup moins et les coachs assistants sont souvent en charge du scouting. Une des seules différences notables qui me vient à l’esprit est l’âge à laquelle le joueur est observé. Cela commence beaucoup plus tôt en Europe. Notamment en Espagne, où les gros clubs font venir des joueurs de 14 ou 15 ans dans leur centre de formation. Comme Luka Doncic au Réal Madrid par exemple.
« On peut voir facilement 5 matchs par semaine. »
Quelles sont les besoins des équipes professionnelles en termes de scouting ?
Jordan Sensi : En NBA, en moyenne, les équipes ont 4 scouts pour la NCAA, 1 ou 2 pour la D-league et les pros, 1 ou 2 pour l’international et 1 advance scout. Au final, il y a peu de places mais énormément de potentiels candidats si une place se libère. Il faut alors avoir d’excellentes relations. Ainsi que la chance d’être au bon endroit au bon moment. En Europe, tout dépend du budget du club. Les gros clubs ont 1 scout voire 2. En France, les équipes n’en ont pas à part entière. C’est un des domaines à développer en priorité. Mais tant que les budgets stagneront, rien ne pourra être mis en place.
A quelle fréquence te rends-tu dans les salles ? Et quel type de championnat peux-tu être amené à scruter ?
Jordan Sensi : Tout dépend du budget ! Quand on travaille pour une équipe et que les frais de déplacements sont pris en charge par le club, on peut voir facilement 5 matchs par semaine. Quand les dirigeants des franchises NBA viennent en Europe par exemple, il se font 10 matchs et 10 jours dans 10 villes différentes. En revanche, quand on ne travaille pas pour une équipe et que l’on doit payer ses propres déplacements, c’est plus compliqué. Être à Paris est un gros avantage. On peut voir entre 1 et 5 matchs par semaine sans avoir de gros frais. Il y a le PL, Nanterre, l’INSEP et plusieurs équipes de U18 et U16 France. Lyon est aussi un bon endroit avec l’ASVEL, plusieurs équipes de Pro B et des bonnes équipes de jeunes.
En France, je regarde la Pro A, la Pro B, le championnat espoirs et la NM1 avec l’INSEP principalement. De temps en temps, je vais voir des matchs U18 et U16 France. Mais cela reste rare. Ensuite, à l’échelle européenne, je regarde les championnats pro et les coupes d’Europe, en fonction des joueurs à suivre. La Liga ACB et l’Adriatic league sont les plus intéressantes par exemple. Regarder la D-League est aussi très important si on veut scouter pour l’Europe.
« En France, le vivier national est très riche »
A partir de quel âge les jeunes commencent à être suivi de près par les clubs pros ?
Jordan Sensi : En Europe, cela commence très jeune car les clubs ont des centres de formations. Dès 14 ans, des jeunes prospects des pays de l’Est notamment arrivent en Espagne par exemple. En France, en revanche, les clubs ne vont pas chercher à l’étranger. Mais le vivier national est très riche. Les gros clubs commencent à recruter à partir de la catégorie U15, voire même U13.
En NBA, les règles sont plus strictes surtout avec les High Schools. Les franchises suivent ce qu’ils se passent mais ne peuvent pas vraiment scouter. Elles se concentrent surtout sur la NCAA. A l’échelle internationale, elles commencent à observer les joueurs au championnat d’Europe U16, pour avoir une idée. Mais elles commencent à vraiment se focaliser sur les joueurs à partir de l’Euro U18, lorsqu’ils entrent dans leur première année d’éligibilité pour la draft.
Le camp de Trévise, la Draft Combine de Chicago et les Summer Leagues NBA… Est-ce que ce sont les trois événements majeurs de l’année pour les recruteurs ? Là où les prospects jouent une grande partie de leur exposition ?
Jordan Sensi : Oui, clairement. Même si les Summer League se déroulent après la draft et ce ne sont pas les mêmes types de joueurs qui sont observés. L’Eurocamp est l’évènement majeur en Europe. Il se déroule 2 semaines et demi avant la draft. Beaucoup de choses se passent là-bas. Ensuite, d’autres évènements comme le Jordan Brand Classic ou le Basketball Without Borders Camp sont aussi intéressants. Mais ils regroupent des joueurs plus jeunes.
Aux États-Unis, le Draft Combine est lui aussi l’évènement majeur. Cependant, il arrive assez tôt. Les workouts avec les équipes jouent un plus grand rôle. Sinon, le Nike Hoop Summit est un évènement très important pour les joueurs qui ont la chance d’y aller. De même, le McDonalds game et le Jordan Brand Classic sont aussi intéressants pour les joueurs de High School. On retrouve aussi le Nike Global Challenge de Los Angeles comme évènement notable. Mais concrètement, l’Eurocamp, le Draft Combine et les work-outs pré-draft sont les endroits où tout se joue pour les joueurs.